Célébrités 1996 : Héros français du roman policier.
Rocambole Arsène
Lupin
Rouletabille Fantômas Maigret Nestor
Burma

Rocambole

Ces aventures extravagantes ont tellement marqué ses contemporains, que Rocambole a légué à la postérité un adjectif passé dans le langage courant, que beaucoup emploient aujourd'hui sans en connaître l'origine : rocambolesque. Sa popularité se confond avec l'essor des romans-feuilletons, que les lecteurs de journaux s'arrachaient au siècle dernier. Ainsi Les Trois mousquetaires ont-ils valu à Alexandre Dumas un immense succès de presse.

Quant à Rocambole, sa notoriété sous le Second Empire n'avait rien à envier à celle de d'Artagnan. À longueur de feuilletons, ce personnage pittoresque connut pendant des années mille et une aventures, compliquées, échevelées, dont la vraisemblance n'était pas le point fort, mais dont le piquant et le rythme tenaient en haleine les lecteurs populaires. Ancien garçon de café, disciple du criminel Sir Williams, Rocambole était capable de tous les méfaits : de la simple association de malfaiteurs jusqu'au meurtre, en passant par le chantage, le rapt et l'extorsion. Mais ce personnage peu recommandable, capable d'asservir les hommes comme les femmes, était doué d'une nature généreuse, qui le poussait toujours à prendre le parti du faible contre le fort : un trait de caractère que l'on retrouvera après lui chez nombre de héros de romans policiers, notamment Arsène Lupin.

Infiniment plus connu que son créateur, Rocambole est l'œuvre du vicomte Pierre Alexis Ponson du Terrail, romancier français né à Montmaur, près de Grenoble en 1829, et mort à Bordeaux, en 1871. Le mystérieux Rocambole était tellement populaire au siècle dernier que son créateur, après l'avoir fait assassiner, dut le ressusciter sous la pression des passionnés de feuilletons. Le lecteur peut revivre ces - rocambolesques - aventures dans Les Drames de Paris , série d'une vingtaine d'ouvrages publiés de 1857 à 1870.

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Arsène Lupin

"Gentleman-cambrioleur" : l'expression choisie par Maurice Leblanc pour le titre de son premier "Arsène Lupin" allait comme un gant à son héros : elle lui est restée pour la postérité. Gentleman, Lupin l'était un peu par sa mère (née d'Andrezy), par du tout par son père (un professeur de boxe emprisonné aux Etats-Unis pour escroquerie), et beaucoup par son inimitable élégance, celle de l'habit et surtout celle de l'homme. Séduisant, subtil, amant idéal ou gendre modèle, Lupin était une sorte d'aristocrate du cœur, qui ne détroussait les riches que lorsqu'ils l'avaient mérité, qui narguait la société et pointait du doigt ses injustices. S'il passait son temps dans les salons des vrais aristocrates, c'était pour mieux y affirmer sa noblesse à lui, celle du défenseur du peuple qui déjoue fièrement les fourberies des puissants et leur fait la leçon. "Un cyrano de la pègre", résuma fort bien Jean-Paul Sartre.

La noblesse du cœur est un trait constant chez Arsène Lupin. Pourtant le gentleman-cambrioleur était le roi du travestissement, jouant tous les rôles et passant de l'un à l'autre avec une époustouflante virtuosité - servie par la vivacité de style et l'ardente imagination de Maurice Leblanc. Professeur transformé en médecin dans Le Bouchon de Cristal (1912), explorateur devenu gendarme dans La Demoiselle aux yeux verts (1927), membre de l'Institut glissé dans la peau d'un châtelain dans L'Aiguille creuse (1909), Lupin usurpe tous les titres, toutes les identités et les nationalités. Libre comme l'air, il surgit de nulle part, surtout là où on ne l'attend pas, et entraîne ainsi le lecteur dans d'innombrables aventures et jeux de rôles, où se mêlent la chronique sentimentale, politique et sociale, sans oublier les scènes de cambriolages ficelées dans les règles de l'art.

Auteur de nombreux romans psychologiques au début de sa carrière, Maurice Leblanc (né à Rouen en 1864 et mort à Perpignan en 1941) connut un immense succès dès le premier Arsène Lupin en 1905. Une cinquantaine d'aventures ont consolidé la légende de cet éternel aventurier, pétillant d'intelligence et de drôlerie.

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Rouletabille

Sans doute Gaston Leroux s'est-il rappelé ses débuts de journaliste - au Matin notamment - quand il imagina le personnage de Rouletabille, un détective amateur doué d'une perspicacité hors du commun, capable de résoudre les énigmes les plus inextricables grâce à une méthode très personnelle, consistant à aborder une enquête par "le bon bout de la raison". Rouletabille - de son "vrai" nom Joseph Joséphin - n'en était pas à une excentricité près : ce digne successeur de Rocambole avouait un goût immodéré pour la mystification, les substitutions et transformations en tous genres. On l'aura compris : il n'y a rien de commun entre les invraisemblances d'un Rouletabille trop fantasque pour être crédible et la présence quasi palpable d'un Maigret, tellement humain.

Contemporain d'Arsène Lupin et de Fantômas, Rouletabille n'a pas donné lieu comme eux à une abondante production littéraire. A la fois journaliste, feuilletoniste et romancier, intéressé par le genre policier mais aussi par le fantastique ou la chronique sociale, Gaston Leroux (né à Paris en 1868 et mort à Nice en 1927) a laissé une œuvre bien moins homogène que celle de Maurice Leblanc ou du tandem Souvestre-Allain. L'essentiel de la notoriété de Rouletabille repose en fait sur Le Mystère de la chambre jaune et Le Parfum de la dame en noir, tous les deux parus en 1907. On retrouve encore le personnage dans Rouletabille chez le tsar ou Le Château noir, romans qui n'ont plus le caractère "policier" des débuts. Gaston Leroux mit rapidement un terme au cycle des Rouletabille, pour se consacrer au nouveau héros - ou plutôt antihéros - qui hantait son imagination : Chéri-Bibi, un évadé du bagne de Cayenne, hors-la-loi involontaire, accablé par la société et dont les aventures connurent aussi un large succès.

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Fantômas

C'était un criminel talentueux et misanthrope : une sorte de génie du mal qui connut un succès considérable dès son apparition. En 1911, une silhouette noire et mystérieuse s'affiche sur les murs de Paris. L'éditeur Arthème Fayard - qui lancera plus tard Maigret - réalise cette année-là l'un de ses meilleurs coups publicitaires : le lancement de Fantômas, un personnage à la double personnalité né de l'imagination d'un double auteur, Pierre Souvestre (1874-1914) et Marcel Allain (1885-1969). Cinq volumes étaient prévus initialement. Pas moins de trente-deux Fantômas seront publiés sous cette double signature, auxquels s'ajouteront dix autres sous le nom d'Allain seul.

Fantômas est, en quelque sorte, la version maléfique de son contemporain Arsène Lupin, en même temps qu'un cousin de l'épouvantable Mr Hyde. Quand il ne porte pas sa cagoule, Fantômas est un homme du monde dans la quarantaine, élégant, à l'allure sportive. Dès qu'il se glisse dans son habit noir, il devient un féroce criminel, que rien n'effraie ni n'arrête, qui se dit "le maître de tout, de l'heure et du temps". Son génie malfaisant ne connaîtrait pas de limite s'il n'était talonné en permanence par un opiniâtre inspecteur de la Sûreté, un dénommé Juve. Parmi les autres familiers de Fantômas : Fandor, un jeune journaliste toujours sur ses traces ; Lady Beltham, qui a succombé sans le savoir au charme du criminel ; Hélène, la fille de Fantômas, amoureuse du jeune reporter.

Porté de nombreuses fois à l'écran - la première en 1912, par Louis Feuillade, la dernière dans les années soixante, par André Hunebelle - Fantômas connut d'immenses succès de librairie mais sut aussi séduire les artistes et intellectuels de son temps : Blaise Cendrars, Robert Desnos, Antonin Artaud ont salué le talent du satanique héros nocturne. Cocteau l'a cité dans Opium et Apollinaire créa même vers 1910 une société des amis de Fantômas.

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Maigret

"Le commissaire Maigret, de la Première Brigade mobile, leva la tête, eût l'impression que le ronflement du poêle de fonte planté au milieu de son bureau et relié au plafond par un grand tuyau noir faiblissait Il repoussa le télégramme, se leva pesamment, régla la clef et jeta trois pelletées de charbon dans le foyer Après quoi, debout, le dos au mur, il bourra une pipe".

Dès le premier Maigret, dès les premières pages, le personnage est campé. Piet'r Letton paraît en 1931, aux éditions Arthème Fayard. Georges Simenon (né à Liège en 1903, mort à Lausanne en 1989) l'a écrit sur une vieille péniche, quelque part en Hollande. Le jeune écrivain est déjà un voyageur sans attaches et un auteur prolifique, capable d'écrire un roman en une matinée à la terrasse d'un café parisien. À l'actif de l'écrivain, 192 romans, 155 nouvelles et 25 ouvrages à caractère autobiographique, traduits en 55 langues, sans compter les quelque mille contes et nouvelles qu'il a signé sous une vingtaine de pseudonymes. Mais c'est le commissaire Maigret, dont le promeneur parisien cherche à repérer le bureau en passant sous le fenêtres du quai des Orfèvres, qui a fait l'essentiel de sa renommée. Qui était Maigret? Ses Mémoires, en 1950, nous apprennent qu'il est né à la campagne, où son père était régisseur, qu'il a perdu sa mère à l'âge de huit ans, qu'il a interrompu ses études de médecine pour entrer dans la police, où il gravit tous les échelons, de commissionnaire à commissaire. Maigret, surtout, est ce personnage en apparence ordinaire, bourru, massif, grand connaisseur de la nature humaine, qui s'imprègne silencieusement des situations pour mieux les dénouer : "il cherchait, il attendait, il guettait surtout la fissure. Le moment, autrement dit où, derrière le joueur, apparaît l'homme" , écrit de lui Simenon.

Boileau et Narcejac, deux maîtres du roman policier français, ont décrit parfaitement l'humanité de ce grand flic : "Résoudre l'énigme pour Maigret, ce n'est pas découvrir la méthode de l'assassin mais expérimenter, vivre à l'essai la crise psychologique qui a provoqué le drame. Le lecteur doit sympathiser avec le coupable. Et justement Maigret est là qui tient la main du criminel (...). D'homme à homme, l'aveu peut jaillir. Grâce à Maigret, l'assassin n'est pas retranché de la communauté humaine".

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Nestor Burma

Gouailleur, la répartie volontiers cynique, même dans les pires situations, astucieux, farouchement indépendant drôle et charmeur... bref, typiquement français : c'est Nestor Burma, le "privé" par excellence. Flanqué de son indispensable et précieuse secrétaire Hélène Chatelain, qui le remet d'aplomb quand il a essuyé un mauvais coup, Burma navigue comme personne dans les intrigues opaques et les milieux interlopes où l'entraînent ses clients. Toujours plus malin que la police, il "double" régulièrement son frère ennemi le policier Florimont Faroux, qui termine laborieusement les enquêtes menées de main de maître par le détective.

Archétype du privé français de la littérature policière, Burma est un précurseur du genre. Son apparition, en 1943, marque le début en France du roman noir : un genre cru, direct, réaliste, qui tranche avec les extravagances poétiques ou fantastiques d'un Arsène Lupin ou d'un Fantômas. Burma appartient à une nouvelle génération de héros de "polars", qui n'est pas sans rappeler les personnages mis en scène par Dashiell Hammett, le maître du roman noir américain des années trente, auteur en particulier du Faucon maltais.

Le père de Nestor Burma, Léo Malet (1909-1996), a longtemps vécu de petits boulots avant d'affirmer son goût pour l'écriture. Remarqué par André Breton, il rejoint les surréalistes et publie des plaquettes de poèmes. Prisonnier en Allemagne pendant la guerre, il est rapidement libéré et publie en 1941 son premier roman, qui met en scène un personnage du nom de Johnny Métal. En 1943, c'est 120, rue de la gare, le premier Nestor Burma. Six autres suivront dans les années quarante, en même temps que d'autres romans, où Malet affirme son goût pour la littérature noire (La vie est dégueulasse, Le soleil n'est pas pour nous). Mais c'est surtout entre 1954 et 1959 que se révèle le véritable Burma, avec le cycle des Nouveaux mystères de Paris : quinze volumes consacrés à quinze arrondissements différents de la Capitale (Brouillard au pont de Tolbiac, M'as-tu vu en cadavre ?). Malet y peint superbement, de l'intérieur, un Paris gris et fascinant, où Burma prend sa dimension de poète de la ville.

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