Célébrités 2002 : Étoiles du jazz.
Louis Armstrong Duke Ellington Michel Petrucciani Ella Fitzgerald Stéphane Grapelli Sidney Bechet

Louis Armstrong (1900-1971)

Ce n'est point trahir l'histoire du jazz que présenter Louis Armstrong comme un de ses "inventeurs" et sa figure emblématique. De La Nouvelle-Orléans à Chicago, d'un folklore à un art créatif, d'une rudimentaire polyphonie à la notion de soliste, d'une notoriété provinciale à une célébrité planétaire: en son œuvre se sont réalisées les mutations et transformations sans lesquelles le jazz n'aurait pas dépassé les limites du quartier réservé de Storyville et serait resté un divertissement local.

Les rues de La Nouvelle-Orléans, où il "fait la manche" au sein d'un quartette vocal, puis un foyer pour enfants abandonnés, où il apprend le cornet, sont ses premières écoles. Il se perfectionne ensuite, dès 1914, auprès du cornettiste King Oliver, joue avec diverses gloires du cru, dont le tromboniste Kid Ory, puis à bord de bateaux à aubes sur le Mississippi, notamment dans la formation de Fate Marable de 1918 à 1921. Après avoir accompagné des chanteuses de blues (Ma Rainey, Bessie Smith, Trixie Smith.,) avec qui il fait ses débuts phonographiques, il enregistre avec le pianiste Clarence Williams, fait partie du groupe de la pianiste Lil Hardin (qu'il épousera) et, passant du cornet à la trompette, forme son premier Hot Five en 1925, élargi, deux ans plus tard, en Hot Seven. Avec ces groupes, il signe une collection d'enregistrements considérés depuis comme les premiers chefs-d'œuvre de l'histoire du jazz : Cornet Chop Suer (1926), Patata Head Blues (1927), West End Blues (1928)...

Dès lors, sa virtuosité, son pouvoir d'invention mélodique, sa verve, sa voix (puissante, rocailleuse, à l'opposé des canons européens) vont participer d'une irrésistible ascension. Grands orchestres, films, tournées et festivals, rencontres (avec Sidney Bechet, Ella Fitzgerald, Duke Ellington, Frank Sinatra, Dizzy Gillespie, etc.) : quel que soit le contexte, il offrira, jusqu'à son dernier souffle, les effets de cette alchimie qui permet aux grands improvisateurs de transfigurer un matériau banal, de donner une vie nouvelle aux plus élémentaires rengaines.

[Haut] Reproduction interdite © La Poste 2002 Philippe Carles

Duke Ellington (1899-1974)

Après avoir hésité entre arts décoratifs et musique, Edward Kennedy "Duke" Ellington, premier compositeur de jazz à part entière, va transformer la musique afro-américaine en substituant à un jeu collectif plus ou moins spontané un langage orchestral élaboré. Ainsi révélera-t-il au public blanc l'intérêt culturel du jazz sans renier les racines de son art.

Si l'importance du chef d'orchestre-compositeur a quelque peu occulté son talent de pianiste, il convient de souligner le rôle du matériau humain sans lequel son œuvre n'aurait pu atteindre l'ampleur qu'on lui connaît -"Tout au long de sa carrière, écrit le poète Jacques Réda, Ellington saura, par une conjonction de flair et de chance parfois, s'attacher des talents qui ne fleurirent jamais mieux que dans le climat favorable de l'orchestre, sorte de Pygmalion collectif capable d'ellingtoniser ses recrues dans la mesure même où elles l'enrichissaient de leur singularité." Dès 1926, puis au Cotton Club (1927-1931), se succèdent des instrumentistes qui, comme autant de couleurs, vont déterminer des "périodes" : "jungle", avec les grognements et sourdines des trompettistes Bubber Miley puis Cootie Williams et la voix d'Adelaide Hall (Creole Love Cali, 1927) et, bientôt, ces piliers que deviendront les saxophonistes Johnny Hodges et Harry Carney ; rythme plus élastique au contact de la mode swing et, surtout, avec l'arrivée de Billy Strayhorn, compositeur-arrangeur-pianiste qui sera jusqu'à sa mort, en 1967, l'alter ego de Duke (Take the A Train,1941), tandis que s'imposent la virtuosité du contrebassiste Jimmy Blanton (Koko, 1940) et le lyrisme du saxophoniste Ben Webster (Cotton Tail, 1940); tentations exotiques, impressionnisme et jeux sur les couleurs de Black And Fantasy à Black Brown And Beige en passant par toutes les nuances de bleu, compositions aux dimensions symphoniques, musiques de film, concerts sacrés... Ellington aura eu recours à tous les moyens musicaux pour raconter l'histoire de son peuple et plaire à tous les peuples du monde.

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Michel Petrucciani (1962-1999)

Né à Orange le 28 décembre 1962, d'un père d'origine italienne et musicien professionnel et d'une mère d'origine bretonne, Michel Petrucciani a découvert le jazz à l'écoute de la guitare paternelle. Mais c'est au piano qu'à peine adolescent, en compagnie de ses frères Philippe et Louis, respectivement guitariste et contrebassiste, il a commencé de s'imposer, à force de maîtrise technique et de lyrisme. Fragilisé par une grave maladie, l'ostéogenèse imparfaite, il a été, lorsque est apparue en public sa silhouette singulière, d'emblée plus populaire que nombre d'autres pianistes qui ont fait l'histoire du jazz. De ses premiers partenaires - le trompettiste Clark Terry, le musicien-journaliste Mike Zwerin, les batteurs Kenny Clarke et Aldo Romano... - au violoniste Stéphane Grappelli, en passant par le guitariste Jim Hall, l'organiste Eddy Louiss, le batteur Roy Haynes, les saxophonistes Lee Konitz, Wayne Shorter et, pendant cinq ans, Charles Lloyd, la liste de ses interlocuteurs et compagnons ainsi que sa discographie (une trentaine d'enregistrements), des deux côtés de l'Atlantique, reflètent l'enthousiasme planétaire qu'il a suscité en moins de deux décennies vécues en France, en Californie puis à New York Légendaire de son vivant, il a rejoint lorsqu'il est mort, le 6 janvier 1999 dans un hôpital new-yorkais, cette mythologie dont ne participent pas moins les vies de Charlie Parker, Jelly Roll Morton, Chick Webb, Django Reinhardt et autres hommes illustres du jazz. Il venait d'avoir trente-six ans et avait signé une œuvre remarquable en "inventant" Michel Petrucciani et un univers pianistique qui s'étend du plus subtil et envoûtant intimisme à une impétuosité aux exquises fulgurances.

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Ella Fitzgerald (1918-1996)

Harlem, 1934 : une adolescente, née seize ans plus tôt en Virginie, à Newport News, remporte à l'Opera House le premier prix d'un concours de chant réservé aux amateurs. Elle se nomme Ella Fitzgerald et, à la différence des "rossignols" qui constituent une des attractions des grands orchestres de ces années "swing", son ramage est beaucoup plus éblouissant que son plumage. Parmi les plus éblouis: le batteur Chick Webb, qui l'engage dans sa grande formation et va lui permettre de faire ses débuts phonographiques, avec notamment Dipsy Doodle, en 1937, et l'année suivante A- Tisket A- Tasket qui obtient un considérable succès. Lorsque meurt le petit batteur bossu, en 1939, la jeune Ella prend la direction de l'orchestre et la conserve jusqu'en 1942. Elle acquiert ensuite, "managée" par le producteur Norman Granz, une renommée qui dépasse largement les frontières du jazz, s'imposant comme la plus virtuose et brillante à force de maîtrise rythmique, d'invention mélodique et d'habileté à jouer sur les divers registres de sa voix. De Louis Armstrong, avec qui elle grave en 1958 un mémorable Porgy and Bess, à Duke Ellington, qui lui offre l'écrin de son orchestre lors de tournées et de séances d'enregistrement réunies sous l'intitulé "Ella & Duke" (en 1957 et 1966), en passant par le tremplin rythmique que constitue la formation de Count Basie (April in Paris, 1956), elle a associé son "instrument" et sa verve d'improvisatrice aux plus grands jazzmen, et cela, jusqu'aux dernières années, les plus douloureuses, d'une vie hypothéquée par les complications diabétiques. Aveugle et amputée des membres inférieurs, elle meurt en Californie, à Beverly Hills, le 15 juin 1996.

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Stéphane Grapelli (1908-1997)

Pour ce prestidigitateur de l'improvisation, la musique a l'élégance presque désinvolte du chant, comme une respiration de l'âme.

Né à Paris le 26 janvier 1908, orphelin de mère à quatre ans, élevé par un père d'origine italienne, Stéphane Grappelli recevra son premier violon à l'âge de douze ans.

Autodidacte, il débute en jouant dans les cours, puis dans les orchestres de cinéma muet où il lui arrive de remplacer le pianiste. En 1934, il crée avec le guitariste manouche Django Reinhardt le Quintette du Hot Club de France -trois guitares, un violon, une contrebasse -un orchestre "sans tambour ni trompette". Le violon, instrument classique par excellence, entre dans l'histoire du jazz.

Séparés par la guerre en 1939, les deux musiciens se retrouvent brièvement à la Libération et enregistrent alors Échos de France, une émouvante Marseillaise, mais en 1953 la mort de Django Reinhardt interrompt définitivement leur association.

Grâce à une justesse harmonique et un esprit d'invention extraordinaire, Stéphane Grappelli s'impose comme violoniste et pianiste, en France, en Grande-Bretagne, en Europe puis dans le monde entier. Il efface les frontières entre styles et genres musicaux.

De Duke Ellington à Oscar Peterson, Martial Solal, Michel Petrucciani et Michel Legrand, sans compter ses amis violonistes Yehudi Menuhin, Eddie South, Joe Venuti et Jean-Luc Pont y, il joue et enregistre avec d'innombrables grands musiciens, accompagné à la guitare par Marc Fosset ou Martin Taylor.

Un chant d'une exceptionnelle longévité qui s'éteint le 1er décembre 1997, au décès de ce génie de l'improvisation.

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Sidney Bechet (1897-1959)

Dès l'âge de huit ans, Sidney Joseph Bechet, "créole" de La Nouvelle-Orléans, est fasciné par la clarinette que possède son frère aîné. Deux ans plus tard il en joue dans les meilleurs orchestres de la ville. Devenu musicien professionnel encore adolescent, il entreprend de longs voyages qui, via Chicago et New York, le mènent des 1919 en Europe, au sein du Will Marion Cook's Southern Syncopated Orchestra. Le chef d'orchestre suisse Ernest Ansermet, plus connu pour sa direction d'œuvres de Stravinski ou Arthur Honegger, est ébloui par ses dons d'improvisateur: il écrit sur le jeune clarinettiste un article à l'enthousiasme prémonitoire. Autre hommage décisif : celui de Duke Ellington, qui le considérait comme le plus grand soliste qu'il eût entendu. Bechet effectue d'autres séjours en Europe, en 1925 et 1927; impliqué dans une rixe à Montmartre, il est expulsé de France en 1929 et ne peut y revenir qu'en 1949, pour participer à un festival de jazz dont il partage l'affiche avec, entre autres, le jeune Miles Davis. Installé en France en 1950, Bechet s'y impose comme l'un des artistes les plus populaires, mettant sa verve mélodique et son lyrisme flamboyant au service de chansonnettes ou de pas de danse familiers aux oreilles européennes, et cela, sans renier la tradition Nouvelle-Orléans ni le blues. De Wild Cat Blues (avec Clarence Williams, en 1923) à Petite Fleur en 1954 en passant par un Blues of Bechet, où dès 1941 (grâce aux techniques de réenregistrement) il joue de tous les instruments, et les célébrissimes Oignons en 1949, sa maîtrise de la clarinette et du saxophone soprano a ouvert ce qu'Ansermet pressentait comme "la grande route où tout le monde s'engouffrera demain".

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