Célébrités 2006 : Les Opéras de Mozart.
La flûte enchantée Don Giovanni Les noces de Figaro La clémence de Titus L'enlèvement au sérail Cosí Fan Tutte

Jusqu’à la fin de l'année 2006, l'Autriche célèbre son enfant prodige. Au programme du 250ème anniversaire de la naissance de Mozart : concerts, expositions, théâtre et… opéras. Ce génie, artiste libre penseur et surtout créateur de 626 œuvres, eut une vie courte mais cependant riche en créativité et donna la pleine mesure de son talent avec de célèbres opéras.

Depuis l’âge de cinq ans, Wolfgang Amadeus Mozart compose. Doué d’une concentration hors normes, d’une mémoire inouïe et d’une justesse d’oreille absolue, il aborde tous les genres avec talents. Symphonies, musique de chambre, œuvres pour pianoforte et concertos, mais aussi musique vocale, œuvres religieuses… Le musicien compose avec une facilité déconcertante. Il ne corrige presque jamais ses partitions. Son œuvre allie légèreté italienne et savoir-faire allemand. Cultivé, curieux, toujours à l'écoute des inventions musicales ou artistiques de son époque, Mozart a su jusqu'au bout faire évoluer son style au gré des découvertes. C’est sans doute à travers l'opéra que Mozart atteint l’apothéose. Dans ses opéras – il compose le premier à l’âge de 11 ans – l’artiste crée de vrais personnages, humains et fragiles. Pour la première fois dans l'histoire de l'opéra, les oeuvres sont engagées. Que ce soient Les Noces de Figaro, d'après la pièce de Beaumarchais, ou La flûte enchantée, opéra maçonnique, il ne s’agit pas de simples divertissements. Don Juan (1787) et Cosi fan tutte (1790) célèbrent l'amour. Mais si Don Juan est très bien accueilli à Prague, le compositeur souffre de l'indifférence viennoise, et des complots montés contre lui par son confrère Antonio Saliéri. Seule une commande impériale, La Clémence de Titus (1791) laisse à Mozart un peu d'espoir.


La flûte enchantée

"Très chère, excellente petite femme, je reviens à l'instant de l'opéra; il était aussi plein que jamais. Le duo "Mann und Weib" et le glockenspiel du premier acte ont été bissés comme d'habitude, de même que le trio des garçons au deuxième acte. Mais ce qui me fait le plus grand plaisir, c'est l'applaudissement silencieux! On voit bien comme cet opéra monte de plus en plus."

Témoignage émouvant du bonheur presque enfantin de Mozart devant le succès de La Flûte enchantée. C'est à la fin de 1790 qu'Emmanuel Schikaneder, directeur du Theater auf der Wieden, avait proposé à son ami Mozart d'écrire la musique d'un nouvel ouvrage, sur un livret en allemand, conforme au goût du public populaire de ce théâtre de la banlieue de Vienne. Le compositeur, qui souhaitait retrouver le succès de son précédent opéra en allemand, L'Enlèvement au sérail, se met aussitôt au travail, et La flûte est créée le 30 septembre 1791. Le livret de Schikaneder, franc-maçon comme Mozart, fait de La Flûte enchantée une fable qui mêle amusement et réflexion, féerie populaire et signification philosophique. L'action se déroule dans l'Égypte antique. Sauvé de l'attaque d'un serpent par trois dames, servantes de la Reine de la Nuit, le prince Tamino est invité par la Reine à libérer sa fille Pamina, prisonnière de Sarastro. Avec l'oiseleur Papageno, ils partent tous deux, munis d'une flûte et de clochettes magiques. Papageno retrouve Pamina qu'il convainc de rejoindre Tamino. Celui-ci comprend que la Reine incarne les forces obscures alors que Sarastro est le grand prêtre du temple de la Sagesse. Il initie Tamino - et Papageno - en leur faisant subir les épreuves de l'obscurité et du silence, et avec Pamina, du feu et de l'eau. Il unit alors les deux jeunes gens. Papageno trouve sa Papagena et la Reine de la Nuit est définitivement vaincue par les forces du Bien.

Mozart atteint là une perfection musicale qui, Wagner le soulignera bien plus tard, « ne pouvait être dépassée, qui pouvait à peine être égalée », consacrée par la popularité de nombreux airs comme ceux de la Reine de la Nuit, de l'oiseleur Papageno, du duo Papageno Papagena.

[Haut] Reproduction interdite © La Poste 2006 Dominique Hayer

Don Giovanni

Contrairement aux Viennois, le public de Prague avait triomphalement accueilli les Noces, au point que Mozart et Da Ponte décident d'écrire un opéra pour cette ville. Ce sera Don Juan. Le mythe de ce "grand seigneur méchant homme" était bien connu et de nombreux auteurs de théâtre, dont Tirso de Molina, Molière, Goldoni, et d'opéra, s'en étaient emparés. Mozart et Da Ponte en font un dramma giocoso où sérieux et comique se côtoient.

Don Juan est un grand seigneur espagnol qui collectionne les conquêtes féminines : "mille et trois", comme le rappelle son valet Leporello. Il vient de tenter de séduire Donna Anna - promise à Don Ottavio -, avant de tuer en duel son père, le Commandeur. Il se joue d'Elvira, venue le "sauver", et de Zerline, une jeune paysanne fiancée à Masetto mais fascinée par Don Juan. Tous décident de se venger. Alors que Don Juan et Leporello échafaudent de nouveaux plans, survient la statue du Commandeur que Don Juan, nullement impressionné, invite à dîner. Lors de cet ultime tête-à-tête, il refuse de s'amender et se trouve alors entraîné dans les profondeurs de la terre par les forces infernales, devant un Leporello terrifié. Dans le finale enjoué de l'épilogue, les autres personnages dégagent la morale de l'histoire.

À ce mythe qui aborde les questions essentielles que se pose l'homme, la liberté et la mort, Mozart donne une nouvelle dimension en conférant une extrême vivacité à la partition et en caractérisant nettement les personnages tout en conservant une progression dramatique dont l'issue est déjà présente dans l'ouverture : les grands accords, la houle des gammes montantes et descendantes, le mouvement haletant annoncent le destin fatal de Don Juan. Tout en traduisant musicalement la vérité psychologique des protagonistes, Mozart ne les juge pas. Il est "aussi bien Don Juan qu'Ottavio ou Anna. Même Leporello dans l'air si pathétique qui suit le sextuor, atteint à une grandeur, à une pureté qui étonnent" (J.-V. Hocquard).

Depuis sa création, le Don Juan de Mozart est considéré comme la quintessence de l'opéra, ou, pour reprendre le mot de Wagner, "l'opéra des opéras".

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Les noces de Figaro

Les Noces de Figaro sont le premier opéra issu de la collaboration entre Mozart et Da Ponte. Celui-ci, fuyant l'Italie après diverses intrigues, s'était réfugié à Vienne en 1783. Il obtient de l'empereur Joseph II l'autorisation d'adapter pour l'opéra la pièce de Beaumarchais, La Folle journée ou Le Mariage de Figaro, interdite en France et en Autriche pour son côté sulfureux. Beaumarchais y dénonce en effet l'inconséquence et l'oisiveté de la noblesse qui s'est seulement donné "la peine de naître". L'élaboration de l'ouvrage s'étale sur six mois jusqu'à la création (1er mai 1786), Mozart multipliant les exigences vis-àvis de son librettiste. Tout en resserrant et simplifiant l'action, Da Ponte transforme la satire politique en comédie amoureuse.

Figaro, valet du comte Almaviva, et Suzanne, femme de chambre de la comtesse, s'apprêtent à se marier. Le comte, délaissant sa femme, a des vues sur la future jeune épousée. Les deux femmes essaient de le prendre au piège en lui envoyant, déguisé en Suzanne, le page Chérubin qu'Almaviva vient de chasser. Elles commencent à habiller le jeune homme quand survient le comte. Chérubin s'enferme dans une pièce voisine. Soupçonneux, Almaviva va chercher des outils pour forcer la porte. Chérubin peut s'enfuir, remplacé par Suzanne que le comte découvre avec surprise. Pendant les réjouissances du mariage, il reçoit une lettre dans laquelle Suzanne lui fixe un rendez-vous, au grand dam de Figaro. Almaviva y retrouve enfin "Suzanne" qui se révèle être la comtesse déguisée. Il ne lui reste plus qu'à s'excuser.

Tout en conservant l'unité dramatique, Mozart a su individualiser les personnages et les rendre vivants, en multipliant les ensembles et en raccourcissant les airs. Faisant de l'ouvrage un hymne à l'amour dans ce qu'il a de plus profond et de plus grand, de la passion du comte pour Suzanne à la fidélité généreuse de la comtesse, de l'éclosion de l'amour chez le jeune Chérubin à la tendresse espiègle de Suzanne pour Figaro, la musique de Mozart confère aux Noces de Figaro une dimension humaine et intemporelle, au service de la seule noblesse qui vaille, celle du cœur.

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La clémence de Titus

A la mi-juillet 1791, Mozart reçoit la commande officielle d'un opéra à livrer pour le 6 septembre suivant, date du couronnement à Prague de l'empereur Léopold II comme roi de Bohême. Pour une occasion aussi solennelle, un opera seria, c'est à-dire un grand opéra italien « sérieux » au sujet élevé, s'imposait.

Aussi les Etats de Bohême choisissent-ils un livret de circonstance, celui de La Clémence de Titus, écrit par Métastase en 1734 et mis en musique depuis lors par de nombreux compositeurs. Cette fois, il est revu par Caterino Mazzolà ; ce poète officiel de la cour renforce le mouvement dramatique en resserrant l'action et réécrit les ensembles dans un souci de plus grand réalisme, à la grande satisfaction de Mozart. L'ouvrage est évidemment destiné à chanter métaphoriquement les louanges du souverain : à Rome, sous le règne de l'empereur Titus, Vitellia, qui l'aime mais qui pense ne pas en être aimée, persuade Sextius de mettre le feu au Capitole et de tuer Titus. Sextius parvient à allumer l'incendie sans réussir à assassiner l'empereur. Le complot découvert, Sextius est condamné à mort. Mais Titus, montrant qu'un empereur doit savoir dominer ses passions, pardonne en définitive.

Mozart compose La Clémence de Titus dans des circonstances difficiles. Il ne dispose que de quelques semaines pour écrire la partition - qu'il terminera à Prague - et sa santé se détériore. D'autre part, il doit achever La Flûte enchantée et la commande du Requiem par un mystérieux inconnu le trouble. Malgré cela, il réussit à écrire pour La Clémence de Titus certains de ses plus beaux chœurs et à insuffler des sentiments et de la vie aux personnages, bousculant les conventions de l'opera seria. L'œuvre se conclut sur un finale grandiose où, dans une irrésistible progression, la ferveur et la gratitude de tous font écho à la noblesse de Titus. Joué avec succès à la fin du XVIIIème siècle, l'opéra, qui comprend un rôle de castrat, tombe dans l'oubli avec la disparition de ce type de chanteur. Il faut attendre la fin du XXème siècle pour que la profondeur psychologique de la partition soit comprise et ses réelles beautés reconnues.

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L'enlèvement au sérail

La composition de L'Enlèvement au sérail occupe Mozart de juillet 1781 à mai 1782. C'est une époque heureuse de sa vie : il épouse Constance Weber et la création de l'œuvre à Vienne, sous sa direction, le 16 juillet de la même année, est un succès qui ne se démentira pas.

Le livret, dû à Stephanie le jeune, est tiré d'une pièce de théâtre de Christoph Bretzner, Belmont et Constance, une turquerie bien dans l'air du temps : Constance, la fiancée de Belmonte, sa suivante Blonde, et Pédrille, le serviteur de Belmonte et fiancé de Blonde, ont été faits prisonniers par les pirates qui les ont revendus au pacha Selim. Belmonte, arrivé devant le palais du pacha, retrouve Pédrille qui invente un stratagème pour faire entrer son maître dans la demeure. Il est urgent d'organiser leur fuite car le pacha est de plus en plus pressant auprès de Constance. Mais il faut tromper la vigilance d'Osmin, le redoutable gardien du sérail. Enivré par Pédrille, celui-ci s'endort : la voie est libre! Mais Blonde s'attarde et Osmin, réveillé, donne l'alerte. Arrêtés tous les quatre, ils sont promis à la mort quand Selim comprend que Belmonte est le fils de son pire ennemi. Le souvenir des souffrances que ce dernier lui a infligées l'incite à la clémence, au grand dépit d'Osmin. Il libère les captifs, qui regagnent leur bateau en chantant les louanges du pacha.

Mozart inaugure avec cet opéra la série de ses grands ouvrages lyriques. Il commence à y imposer sa conception qui confie à la partition le rôle dramatique essentiel, la poésie devant n'être que "la fille obéissante de la musique". Construite sur un livret en allemand qui laisse au compositeur la liberté de lui imprimer sa marque, l'œuvre est d'une grande efficacité scénique, mais la musique, tour à tour chaleureuse, enthousiaste, poétique, grave, allègre, n'est pas toujours comprise. L'empereur n'aurait-il pas déclaré au compositeur : "Trop beau pour nos oreilles, mon cher Mozart, et beaucoup trop de notes ! "Juste ce qu'il faut, Votre Majesté", lui aurait-il rétorqué. Première d'une longue série d'incompréhensions.

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Cosí Fan Tutte

Dans le courant de l'été 1789, Mozart reçoit la commande d'un nouvel opéra. On ignore qui a choisi le thème de l'infidélité des jeunes filles. C'est Da Ponte qui est chargé du livret de ce Cosi fan tutte, ossia La Scuola degli Amanti ("Ainsi font-elles toutes, ou l'école des amants").

Deux jeunes officiers, Ferrando et Guglielmo sont convaincus de la fidélité de leurs fiancées respectives, Dorabella et Fiordiligi. Mais Alfonso, en "vieux philosophe", se fait fort de leur prouver le contraire. Pour cela, il leur propose de faire semblant de partir à la guerre et de revenir méconnaissables sous un déguisement. Chacun cherche à séduire la bien-aimée de l'autre. Les jeunes femmes, encouragées par la soubrette Despina, finissent par succomber, Dorabella rapidement, Fiordiligi, après de longues hésitations. Alfonso organise un double mariage, avec la complicité de Despina qui joue le rôle de l'avocat pour la circonstance. À peine le contrat est-il signé que les deux hommes s'éclipsent, avant de revenir en officiers. Alfonso triomphe, et les quatre jeunes gens méditent la leçon.

L'opéra, le dernier issu de la collaboration entre Mozart et Da Ponte, connaît une carrière pleine d'embûches. Un mois à peine après la création, en janvier 1790 sous la direction du compositeur, la mort de l'empereur Joseph II entraîne la fermeture des théâtres et l'interruption des représentations. Rarement redonné au cours des années suivantes à Vienne, l'ouvrage sera délaissé au XIXème siècle à cause de son" immoralité" et de sa "futilité". Le XXème siècle y admire au contraire l'une des plus fascinantes créations de Mozart où s'affirme nettement l'indépendance de la musique par rapport au livret au point qu'on a pu parler de "partitions parallèles". Cependant, qu'elle l'enrichisse ou le contredise, la musique transcende toujours le texte. De plus, le compositeur a semé tant de beautés, ciselé tant de somptuosités orchestrales dans Cosi que cette œuvre, par cette alliance de légèreté et de profondeur, de jeu et de gravité, de vivacité et de tendresse, de parodie et d'ironie, apparaît comme l'un des sommets de la création mozartienne.

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